ARCHITECTE ET... PRÊTRE

Architecte et... prêtre.

Benjamin OSIO, titulaire du diplôme d’architecte DPLG, prêtre et religieux missionnaire spiritain (Eglise catholique)

Un double parcours pour un même appel.

Ce qui m’a fait aimer l’architecture, c’est
sa transversalité. C’est une discipline qui part de l’humain, de ses besoins, son activité, sa culture, pour aboutir à un « geste créateur » à une réponse concrète visant à aménager son cadre de vie.

Ne faut-il pas, en outre, être « habité » de certaines valeurs pour devenir architecte : une réelle philanthropie, une sensibilité artistique, une rigueur scientifique, technique, économique... ?

Ces valeurs, si on les prend au mot, ne sont pas si éloignées de celles qui font naître une vocation religieuse, en tout cas dans la perspective chrétienne telle qu’on la lit dans l’Évangile et qui consiste à servir l’Homme comme Jésus-Christ l’a servi. Lui-même n’a-t-il pas fait ses armes comme charpentier à Nazareth jusqu’à l’âge de 30 ans avant de se lancer dans sa vie itinérante sur les routes de Galilée ?

Pour être architecte, comme pour être prêtre, il faut pouvoir se livrer, se projeter, autant dans l’espace que l’on cherche à investir que dans la relation avec ceux et celles qui l’habitent.

Finalement, me semble-t-il, les deux trajectoires répondent à un appel : celui de tisser du lien, avec soi-même, avec les autres, et, par la foi, avec Dieu créateur et source de toute vie.

Mon expérience spirituelle a été comme l’ouverture d’une fenêtre sur le monde dans sa diversité. La rencontre avec le Christ m’a poussé à la rencontre avec les autres, et en particulier les plus éloignés de par l’histoire, la géographie, la culture, la religion...

Aussi, je n’ai pas voulu entrer au Séminaire pour devenir prêtre diocésain - autrement dit curé de paroisse - mais j’ai choisi une congrégation religieuse qui me permet à la fois de vivre en communauté (nous sommes au moins trois dans nos maisons), de partir à la rencontre d’autres peuples et de mettre en pratique mes compétences professionnelles.

C’est ce que j’ai pu faire au cours de mes différentes missions, en Afrique de l’Est d’abord (Tanzanie, RDC) et depuis 6 ans en Haïti.

Le contexte haïtien m’était particulièrement désigné : frappé par un séisme dévastateur en janvier 2010, Port-au-Prince et sa région ont vu s’effondrer nombre d’habitations, d’écoles et d’églises... qu’il fallait rebâtir.

Ce qui choque dans ce pays, et dans sa capitale, c’est bien sûr la pauvreté ambiante, l’insalubrité des quartiers informels, l’état de délabrement des bâtiments et des rues... mais c’est aussi l’absence de pensée urbaine.
La ville se développe sans aucun contrôle des flux de circulations ni des modes de constructions.

Prétendre poser un geste architectural dans un tel environnement demande un minimum d’humilité ! Pourtant, si l’on ne peut pas changer les choses en profondeur, on peut les améliorer. Il ne s’agit pas d’impressionner, mais de montrer que la mise en œuvre d’un plan cohérent crée une harmonie spatiale qui, par capillarité, pourra régénérer un lieu, un quartier, une ville, un territoire... !

Plus qu’ailleurs sans doute, certaines contraintes sont incontournables :
les contingences financières et techniques, l’exigence de structures antisismiques et anticycloniques, l’apport en énergie solaire et en eau...

Le plus gros de mon travail consiste à piloter la reconstruction d’une école à Port-au-Prince, le Collège St-Martial : 2 000 élèves qu’il faut déloger des hangars de bois et de tôles aménagés après le séisme. Voir l’émerveillement des enfants, des parents, des professeurs devant l’école en renaissance est une joie, autant que celle de dialoguer avec les ingénieurs et les ouvriers.

Il reste une frustration : un pays entier est à construire, les forces vives sont là, nombreuses, et si peu est fait... Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas... un déséquilibre économique vertigineux fracture notre humanité et prive de liberté une trop grande part d’elle-même.

Pitit Bondye pa konn pèdi batay ! dit un proverbe haïtien (les enfants de Dieu
ne capitulent jamais !) La foi reste un bain d’espoir pour beaucoup, naïvement peut-être, mais il est sûr que ce dont notre monde a besoin, qu’ils soient prêtres ou non, architectes ou non, ce sont des créateurs, des passionnés et des bâtisseurs de ponts entre tous !

n°49 - hiver 2020