juridique

Contrats de promoteurs sous surveillance

Laurence SERVAT, Directrice et juriste du CROA , Richard VIANNE-LAZARE, architecte

Le Conseil de l’Ordre, aux côtés des architectes dans leurs relations avec les promoteurs

Depuis de nombreuses années, le Conseil de l’Ordre d’Aquitaine intervient pour soutenir les architectes, au cas par cas, dans leurs litiges avec les maîtres d’ouvrage, publics et privés, et notamment avec les promoteurs. Le CROA Aquitaine traite ainsi 130 litiges par an environ. Il intervient essentiellement en recouvrement d’honoraires, avec un taux de réussite de l’ordre de 65 à 70%.

Aujourd’hui, au-delà de ces interventions ciblées, le Conseil de l’Ordre a décidé d’agir envers les promoteurs de manière plus collective. Pour ce faire, il a besoin du soutien des architectes qui doivent être solidaires dans leur comportement : il est temps de « se serrer les coudes » pour faire respecter notre profession et refuser l’inacceptable !

Les architectes, plus forts collectivement et solidaires

Le rapport de force : grâce à leur monopole, les architectes sont incontournables.

Souvent, les architectes pensent être en position de faiblesse par rapport aux promoteurs. Il est vrai que le poids économique des uns et des autres est très différent, mais avec leur monopole des permis de construire, les architectes sont incontournables et sont donc en position de force sans en avoir conscience. Les promoteurs sont toujours obligés d’avoir recours à un architecte pour la conception et le dossier de permis de construire.

L’aspect réglementé de la profession et les assurances obligatoires de l’architecte apportent aussi une garantie forte au promoteur et confèrent aux architectes une force dont ils doivent se saisir pour mieux « se vendre » : négocier leurs honoraires, leurs contrats, etc.

Refuser de porter le risque opérationnel

Certains promoteurs nous demandent implicitement de participer au portage des opérations, en faisant l’avance, sans rémunération, du permis de construire obtenu et purgé du recours des tiers, de la pré-commercialisation du programme (plans de vente), la maitrise des coûts (DCE-AMT), soit la totalité de nos prestations d’études.

Cette pratique est totalement inacceptable car elle est sans contrepartie. On ne nous propose jamais en retour de partager la marge ou les bénéfices !

Nous devons refuser catégoriquement toute collaboration sans contrat et toute condition de rémunération dont les règlements seraient soumis à condition et/ou différés au-delà de l’acceptable.

Conserver l’intégralité de la mission d’architecte

Si nous sommes incontournables grâce au monopole du permis de construire, ce n’est pas le cas pour la suite de la mission. Des professions se sont engouffrées dans cette brèche : économistes, maîtres d’œuvre d’exécution, coordinateurs etc…

Les architectes doivent impérativement conserver les missions de la phase projet, consultation des entreprises, suivi de chantier, etc. faire valoir l’indispensable nécessité de mener à bien une mission complète pour garder notre compétence de maître d’œuvre.

N’avoir qu’un interlocuteur crédible capable de gérer la globalité du projet, de sa conception à sa réalisation, est plus simple, plus efficace et donc plus confortable pour le promoteur.

Les pièges à éviter : conseils juridiques et pratiques

Contracter

IL FAUT CONTRACTER ! ne pas travailler sans commande écrite et signée. Cette obligation nécessite de bousculer les habitudes tant des architectes que des promoteurs. Terminé le temps où la parole donnée (ou la poignée de mains) avait une valeur. Aujourd’hui, on vit dans un monde judiciarisé dans lequel tout litige peut finir devant un tribunal. Un contrat permet de sécuriser un minimum tant l’architecte que le promoteur maître d’ouvrage.

En outre, la signature d’un contrat écrit est obligatoire, même pour des travaux de faible importance.

Alors un contrat oui, mais quel contrat ? IL FAUT REFUSER DE SIGNER N’IMPORTE QUOI !

Programme et budget  : L’architecte doit demander un programme clair à son maître d’ouvrage ainsi que communication de son enveloppe financière. Dès ce stade, il est impératif de refuser les demandes irréalistes techniquement ou financièrement.

À chaque fois qu’une modification est demandée par le promoteur, l’architecte en prend acte par écrit (courriel au minimum) pour prévenir son maître d’ouvrage que la modification demandée entraînera un surcoût. Il est impératif d’alerter le client des impacts financiers de ses demandes et d’obtenir un accord écrit pour tout dépassement de budget.

Attention : L’architecte ne doit (et ne peut) en aucun cas s’engager sur un prix ferme et définitif. Ce n’est pas lui qui fait les prix ; ce sont les entreprises.

Mener sa mission dans de bonnes conditions

Respect du contrat : L’architecte doit respecter sa mission : pas plus, pas moins. Ainsi, il doit refuser de se rendre sur le chantier, pour quelque raison que ce soit, si sa mission a pris fin avec les études.
Contenu de la mission : Très souvent, dans les contrats proposés par les promoteurs, la mission de l’architecte n’est pas précisément définie et est souvent « sans fin ». L’architecte s’engage ainsi à modifier son projet autant de fois que demandé par le promoteur ! et sans rémunération supplémentaire. Il faut exiger le retrait de ce type de clauses.
Contrôle architectural  : Cette mission est fortement déconseillée aux architectes, notamment par leur assureur. En effet, en se rendant sur le chantier, même pour un « simple » contrôle architectural, l’architecte prend les mêmes responsabilités que s’il avait la mission de suivi des travaux, sans avoir la rémunération correspondante. Il en est de même de la conformité : l’architecte ne doit pas signer la déclaration d’achèvement des travaux et leur conformité au permis de construire s’il n’a pas suivi le chantier.
Validation des prestations : La validation de tous les documents remis au maître d’ouvrage doit impérativement se faire de manière expresse. L’architecte doit systématiquement faire signer au client les plans, les pièces écrites, notamment les estimatifs.
Livraison et TMA : normalement, la mission de l’architecte prend fin à la réception ou à la levée des réserves. Il n’est pas partie prenante à la « livraison », acte par lequel le promoteur livre l’ouvrage aux acquéreurs et qui relève de la responsabilité exclusive du promoteur. De même, pour les travaux modificatifs acquéreurs (TMA), l’architecte peut intervenir, mais avec un contrat qui cadre sa mission et sa rémunération pour ces TMA.

Obtenir une juste rémunération de son travail

Modalités de paiement  : Il est malheureusement très fréquent de voir des clauses d’échelonnement des paiements totalement abusives, telles qu’un premier acompte au permis de construire purgé, puis un deuxième acompte au démarrage des travaux. Non seulement ces délais ne sont pas supportables économiquement parlant pour une agence d’architecture, mais en plus, ils constituent des conditions potestatives, que le code civil considère comme nulles (articles 1170 et 1174) : La condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher. Le dépôt du dossier de permis de construire, son obtention, ou encore le démarrage des travaux par exemple sont bien des événements que seul le maître d’ouvrage peut faire arriver ou empêcher. Ces conditions de paiement ne sont pas recevables.

L’architecte n’a pas à avancer plusieurs mois de travail sans rémunération, voire à prendre le risque de ne pas être rémunéré du tout.

Faire respecter ses droits d’auteur

L’architecte est détenteur de droits d’auteur dès lors que son œuvre est considérée comme originale. Trop souvent, les contrats proposés par les promoteurs ne respectent pas la propriété intellectuelle de l’architecte. Il est recommandé de ne diffuser aux maîtres d’ouvrage que des images intégrant le nom de l’architecte et non modifiables.

Et demain…

Depuis plusieurs mois, le Conseil de l’Ordre et la Fédération des promoteurs immobiliers Aquitaine-Poitou-Charentes ont engagé un dialogue constructif, car il est indispensable de se parler pour apprendre à se connaître, chercher à se comprendre et répondre aux attentes de chacun.

Nous devons prendre conscience de notre force potentielle mais aussi accepter les critiques qui nous sont faites pour y remédier. Nous devons en particulier apprendre à mieux négocier, à nous faire respecter, à nous adapter, à nous structurer.

Et pour que l’architecte et son travail soient respectés, il faut refuser les conditions de travail insupportables (mission sans fin, rémunération un jour peut-être…) et contracter le plus tôt possible !

Encore plus de conseils (note complète) sur www. le308.com

n°16 - sept. 2012