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Rose

Boubacar SECK, architecte , architecte

Le jour où Rose Bazelet reçoit une longue enveloppe blanche avec son nom en grands caractères noirs sa vie bascule.

Elle n’a pas été remise par le postier habituel. Mais par un grand bonhomme osseux, casquette verte et plate, blouse de coton bleu au col rouge, uniforme des employés de la Préfecture de Paris. La ville lumière est en train d’être « hachée à coups de sabre, les veines ouvertes » comme disait Zola dans « La Curée ».

Ces exérèses et incisions sont données par le Baron Haussmann. Rose le sait.La maison de Rose est sur le tracé du futur Boulevard Saint-Germain. Elle doit déguerpir ainsi que tout son univers.

Il y a M. Zamaretti le libraire qui lui fait découvrir les grands auteurs. Il y a Alexandrine qui l’initie au langage des myosotis. Il y a l’imprimerie de M. Jubert, l’herboristerie de Mme Godfin, l’imprimerie de l’aguichante Mlle Vazembert, la chocolaterie de M. Monthier, Horace le spécialiste des liqueurs enivrantes, le docteur Nonant, le restaurant « Chez Paulette ». Un monde doit disparaitre : le Petit Peuple de Paris.Rose a décidé de ne jamais rendre les armes contre ce Préfet qu’elle méprise au point de ne jamais nommer son nom.

Cet « Attila de la ligne droite » ce « Baron éventreur » a ravagé l’île de la Cité, détruit six églises, éventré le Quartier Latin. Tout cela pour ces lignes droites, ces couloirs infinis, ces grands immeubles jaune beurre construits à l’identique, affreuse combinaison de vulgarité et de luxe superficiel.Se battre contre le Préfet, voire contre Napoléon que Rose abhorre.

La jeune Alexandrine a beau lui rappeler les beaux rêves de l’empereur : une cité propre et moderne avec des égouts adaptés, un éclairage public, une eau débarrassée de ses germes et du choléra, des nouveaux hôpitaux, les gare de chemin de fer, le nouvel opéra, les parcs, l’annexion des faubourgs.

Elle lui rétorque :- Vous êtes trop jeune pour comprendre ce qui me lie à cette maison.Alors, Rose écrit à son Armand mort depuis dix ans déjà. Elle écrit afin que rien ne soit oublié : la perte d’un enfant, les beuglements des porteurs d’eau sur des ânes fatigués, le parfum âcre du fleuve, le manteau de givre du jardin du Luxembourg, l’or des cheveux des femmes, la senteur des génoises au citron, la saveur fumée du thé de Chine de chez « Mariage frères » déjà.

Elle écrit pour rappeler à Armand qu’elle n’oubliera jamais son serment et surtout pour lui révéler un lourd secret qu’elle n’a jamais osé lui avouer. Elle écrit surtout à son ennemi, le responsable de tout « cet enfer », le Baron : « Votre nom à lui seul est une ironie. Haussmann, en allemand « l’homme de la maison » et vous n’avez pas hésité à faire abattre la maison même où vous êtes né.

Cela est révélateur… Je n’abdiquerai pas face à l’empereur ».« Rose » n’est pas seulement le roman de la disparition d’un quartier. C’est aussi un serment de résistance, un roman sur la fidélité, l’amitié, l’amour, la mémoire

.Le texte de Tatiana de Rosnay soulève des thèmes aussi invariants au xixe siècle qu’aujourd’hui. Si Rose habitait rue Fondaudège à Bordeaux, elle se battrait contre la future ligne de tramway.

C’est une réflexion sur la rencontre entre l’intérêt général et le capital affectif des particuliers, la collision entre la grande histoire et la petite.

n°11 - juin 2011