développement durable

L’esthétique de l’usage

hugues touton , architecte

Un peu d’espoir : retour à l’usage

Moins d’espace, moins d’objets, moins d’images, moins de formes… moins de plaisir, moins de vie ?

Pourtant « toute culture porte le besoin dans l’accroissement » [1] et l’on ne peut se laisser glisser dans la dépression collective, dans la nostalgie d’un âge d’or.

La question de l’usage, de ce que la forme architecturale doit ménager , représente un champ culturel suffisamment vaste et complexe pour porter en germe les possibilités de l’art et du plaisir.

Les rapports qu’entretiennent l’usage et le bâti sont au cœur de l’indispensable livre de Daniel Pinson « Usage et architecture ». La problématique de l’usage y est posée à travers ces trois questions :

→ « l’usage serait-il un résidu de la pensée fonctionnaliste du Mouvement Moderne, dans la mesure où l’ambition de ce dernier a été la réalisation d’un produit adapté à un certain type de consommation, voué à la reproduction simple ?

→ ou bien est-ce le point d’achoppement, le récif sur lequel le Mouvement Moderne a buté, faute de prendre en compte la réelle densité du concept d’usage ? Celui-ci ne peut se réduire en effet à l’idée d’utilisation ; il recouvre une réalité anthropologique que les concepts d’us et coutumes ou de convention expriment bien mieux.

→ ou bien encore est-ce un critère totalement contingent, parfaitement conjoncturel, dont la temporalité circonstancielle et passagère et ne doit en rien compromettre la transtemporalité qui caractériserait l’œuvre d’art, à laquelle s’assimilerait l’architecture ? » [2]

Et l’auteur poursuit « En réintégrant certaines dimensions de l’usage (l’appropriation) qui précisément tiennent à la présence active du sujet vis-à-vis de l’objet devant ou dans lequel il est, dans la durée, une esthétique existe potentiellement, qui ne réduirait pas l’architecture à l’immédiateté d’un spectacle purement visuel (…). A cette contemplation passive peut en effet se substituer un ensemble d’émotions perceptives bien plus étendues et non moins dignes de la légitimité esthétique. Certains indices, certaines recherches en montrent l’émergence » [3]. Ces possibilités constituent une large part de notre programme.

Les fonctions les plus prosaïques de la vie humaine sont la matière même du livre de Bernard Rudofsky (architecte et commissaire - notamment - de l’extraordinaire exposition du MoMA de 1964 : Architecture without architects ) « Now I lay me down to eat » [4] . Pointant en introduction l’impossibilité matérielle de la disposition traditionnellement représentée de la Cène, le dernier repas du Christ, puisque celui-ci et ses apôtres, compte-tenu des mœurs de l’époque, étaient allongés et non pas assis à table (d’où le titre du livre), l’auteur décrit et compare les usages des cultures occidentales et orientales, passées et présentes, incarnant les actions élémentaires de la vie humaine : manger, s’asseoir, se laver, se baigner (qui n’a rien à voir en orient avec se laver) et dormir. Très richement illustré par de véritables images d’usages, ce livre plein d’humour se parcourt dans la joie.


[1Michel Henry, La barbarie , Grasset & Fasquelle, 1987, p.179

[2Daniel Pinson, Usage et architecture, op. cit., p.7

[3Daniel Pinson, Usage et architecture, op. cit., p.9

[4Bernard Rudofsky, Now I lay me down to eat , Anchor Books, New York, 1980 (traduction par Adeline C. en cours)

n° 3 - juin 2009