urbanisme

L’architecture contemporaine, l’autre bijou du vignoble Bordelais.

Yann Chaigne, docteur en histoire de l’Art spécialité Architecture.

Des diamants dans un écrin de jade. C’est ainsi qu’on pourrait qualifier les bâtisses de pierre blonde et blanchie des châteaux viticoles du Bordelais, qui émergent de l’étendue verte des rangs de vignes. Dès l’Ancien Régime et jusqu’à la fin du xixe siècle, chartreuses, maisons de maître ou « châteaux », comme on les appelle ici, sont sortis de terre.
Il s’agit alors d’affirmer la richesse des propriétaires, une identité prestigieuse, la notoriété d’un grand vin. Aujourd’hui encore, l’architecture demeure le vecteur d’un message.
Mais les demeures sont déjà là. Alors ce sont les dépendances et installations techniques qui ont pris le relais. Le star-system de l’architecture et du design est sollicité pour porter une griffe esthétique et fonctionnelle : on parle pour 2015 de Philippe Starck à Carmes Haut-Brion (Pessac-Léognan), de Ieoh Min Pei à Lynch-Bages (Pauillac). D’ores et déjà, le chantier de La Dominique (Saint-Emilion), conduit par Jean Nouvel, est bien avancé. Et qui n’a pas entendu parler du complexe alliant réception de la vendange, chai, cuvier et salle de dégustation, au château Faugères (Saint-Emilion) réalisé par Mario Botta ? Qui n’a pas eu écho ou même visité le vaisseau aérodynamique contenant des cuves de béton en forme d’amphores au château Cheval Blanc (Saint-Emilion), œuvre de Christian de Portzamparc ? Historiquement, le premier à avoir attiré l’attention est aussi celui qu’on prenait alors pour un fou, celui dont même les commanditaires ont douté à l’époque : le catalan Ricardo Bofill.
En 1985, ce dernier livre pour le château Lafite Rothschild (Pauillac) un chai à barriques semi-enterré et de forme octogonale : température et hygrométrie optimales, gain de déplacement, de temps (et donc d’argent !) phénoménal pour les ouvriers du chai grâce à ce nouveau système de circulation, aéré et ingénieux. Révolution ! Bofill est devenu un génie qui a fait des émules, car combien compte-t-on aujourd’hui de chais et cuviers de forme octogonale ou même circulaire ? N’y a-t-il alors que les grands noms de la scène internationale ou française pour répondre aux demandes des châteaux du Bordelais ? À en juger par la production, assurément non. En 2005, l’agence bordelaise Lanoire et Courrian, bien connue car conceptrice du tramway, réalise pour le château Chasse-Spleen (Moulis-en-Médoc) un nouveau pôle agricole. Deux grands volumes, longilignes, quasi parallèles, avec une cour entre les deux facilitant la manœuvre des tracteurs et engins, s’imposent dans le paysage médocain. Sobre, atypique, d’un vert militaire dont la trame semble reprendre l’alignement des rangs de vignes, l’opération répond complètement à ce qu’on attendait ici : esthétique et efficacité. Mais il faut surtout évoquer celui qu’on a récemment appelé « L’homme aux 100 châteaux » : Bernard Mazières de l’atelier des Architectes Mazières à Bordeaux (Bernard et Jean-Marie). Ce dernier est devenu le maître d’œuvre recherché de tous les domaines, car il sait allier innovations technologiques et besoins œnologiques, tout comme il sait associer l’image prestigieuse du vin à celle d’une esthétique extraordinaire. Château d’Yquem (Sauternes), Château Margaux (Margaux), Pétrus (Pomerol), Château Pape-Clément (Pessac-Léognan), Château Latour (Pauillac), portent la marque de l’atelier Mazières, et bien d’autres encore. Il faut évoquer plus en détail le Château de La Dauphine (Fronsac) qui vient de remporter le titre du Best of Wine Tourism catégorie architecture. Le cuvier y est circulaire (cuves en acier inoxydable et cuves en béton), semi-enterré, et permet la réception puis le dépôt de la vendange par gravité, c’est-à-dire sans brusquer le raisin, utile à la précision de la vinification. Le chai à barrique, longiligne, couvert d’un revêtement lissé sans grilles au sol pour éviter les bactéries liées à la circulation de l’eau, est enveloppé d’une peau de béton épaisse et protectrice, dont quelques ciselures vitrées font rayonner la juste dose de lumière. Le Bordeaux s’assemble donc avec les signatures des stars internationales, nationales et locales. Et si la pierre reflétait le prestige d’antan, il faut désormais compter avec le béton, le verre et l’acier, matériaux qui ont gagné leur place dans les joyaux du vignoble Bordelais.

n°22 déc. 2013