cultures

Hommes et paysages

Bernard Favre , ingénierie de conception Cap Sciences

C’est le temps qui a permis depuis quelques milliards d’années l’inexorable fabrication des paysages. Leur sculpture est l’œuvre du climat mais aussi celle des hommes qui forment les territoires sur lesquels ils bâtissent leur pays.

Dans cette vallée de la Garonne le paysage d’aujourd’hui est calme et serein comme un grand jardin bien entretenu. Mais il n’en a pas toujours été ainsi : dans des temps reculés la force des flots et du vent a forgé la vallée, du lit du fleuve aux formes des coteaux. Elle a même laissé des traces fossilisées d’huîtres du temps où l’océan déferlait sur la pente des collines. Puis l’homme a pris le contrôle des terres, creusant des fossés et des canaux, travaillant la terre en sillons parallèles, montant des digues et des mattes, posant ses habitats et ses bourgs sur des buttes, traçant des chemins, tissant un réseau de routes et de lignes électriques au fur et à mesure de la maîtrise des territoires agricoles ou urbains.

Mais à période régulière, Garonne se manifeste aux hommes comme pour leur dire que la nature reste le maître du jeu : « j’apporte le limon, j’enrichis et je nettoie, mais je détruis aussi ce qui veut contraindre mes rives : je défend mon territoire… » Les hommes d’ici ont appris à lutter avec les inondations, comme ils ont appris à guider l’eau des parties les plus humides de la vallée. Des savoir-faire ancestraux que le promeneur d’aujourd’hui peut découvrir en sillonnant la plaine. Ils ont aussi appris à aligner des plantations : peupliers ou arbres fruitiers dans des parcelles quadrillées par les fossés, vignes sur les pentes des coteaux, platanes le long des routes…

Tout cela fait le paysage spécifique de cette vallée de la Garonne, dont l’harmonie générale est perturbée par deux réalisations humaines. Rive gauche, le long trait du canal parfois doucement courbé pour longer les coteaux. Sur l’autre rive la ligne droite de la route nationale, bordée de magasins et d’entrepôts, animée du mouvement des transports routiers.

Et les maisons ? Dans la vallée, elles sont traditionnellement plantées sur des buttes pour protéger bêtes, grains, foins et hommes en cas d’inondation. A proximité des bourgs, des villas récentes se sont installées dans la seule logique d’être en bord de route. La plupart du temps, chaque ferme est dotée d’un séchoir à tabac en bois, dont la forme standardisée traduit la modernité que cette culture
a représenté pour le pays.

Ce paysage sans monument spectaculaire sinon quelque tertre donnant un point de vue panoramique, offre une exploration subtile à quiconque est prêt à prendre son temps pour exciter ses sens : couleur, forme, perspective, ombre et lumière… une découverte que l’office de tourisme du Val de Garonne propose dans sa maison du XVII° siècle au cœur de Marmande. Sur grand écran, un voyage filmé à pieds, en vélo, en bateau, en avion, à cheval, comme autant d’expériences différentes d’un même territoire. Au gré des pièces de la maison, des voyages photographiques, comme autant d’incursions dans l’intimité de la tomate, du raisin, de la prune, de la fraise, des sous-bois, des champs et des constructions…

Ainsi, le paysage peut-il être goûté et apprécié dans la complexité qui en fait sa vraie valeur. Dans cette grande vallée, il est un marqueur de la culture des Gens de Garonne, qui, venant d’ici ou d’ailleurs (pour beaucoup d’Italie, d’Espagne, d’Alsace ou de Hollande…), composent un pays de métissage entre le fluvial, l’agricole et l’urbain.

www.valdegaronne.com

n°14 spécial Lot-et-Garonne - avril 2012