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Moins cher, plus vite et mieux. Logement pas cher ou l’art d’accommoder les restes.

Vincent Arné, architecte

Afin de donner un prolongement à la mobilisation contre la Loi ELAN, la Maison de l’Architecture/308 proposait un focus sur le logement au travers de démarches sincères, situées et qualitatives qui rendent cet exercice, âpre et fondamental, si essentiel pour la profession. Le cycle, initié par Marjan Hessamfar (élue au 308-MA), s’est déployé sur quatre mercredis du mois de juin.

La soirée inaugurale fusionnait la présentation de la revue A+T par Aurora Fernàndez Per et Javier Mozas, ses deux fondateurs, avec les interventions d’Yves Ballot et de Patrick Hernandez. Les deux architectes-éditeurs ont détaillé leurs outils d’analyse, de description et de valorisation de la densité dans l’habitat, développés au fil de la publication de leurs différents ouvrages. A+T mène une recherche de fond sur le logement depuis plus de dix ans et a mis en place une série d’ouvrages extrêmement aboutis et exigeants. Yves Ballot et Patrick Hernandez ont illustré le propos de la revue par l’intermédiaire d’une opération de logement emblématique de chaque agence. Dans des registres assez éloignés, leurs projets comportaient chacun une ergonomie, une vision du territoire et des propositions formelles fortes. La clarté de chaque démarche ramène les problématiques architecturales au centre de la question du logement, les réponses y sont éloquentes.

Le second temps du cycle était consacré à la présentation du travail de Jean et Aline Harari qui assument clairement leur positionnement d’agence comme une co-construction avec une maîtrise d’ouvrage essentielle : I3F. De cette relation de confiance et de patience, naissent des opérations qui évoquent le raffinement et la justesse d’Alvar Aalto. Outre la démonstration de l’intérêt écologique, urbain et social d’offrir un habitat dense et tenu, la démarche des Harari donne du sens à un tissu périurbain dont le développement autonome tendrait souvent vers la marche du poulet sans tête.

L’agence accomplit le tour de force de produire de l’architecture ordinaire de très haute qualité dans des lieux étonnamment peu porteurs pour une stratégie communicationnelle. Des architectures maîtrisées sur un temps long, associées à un prix au mètre carré âprement négocié produisent une réponse forte : chaque projet fait sens, chaque projet est ancré et chaque projet est porteur d’une matérialité cohérente, chaque logement est en relation à son environnement. Il devient étonnant de constater que ces valeurs plutôt consensuelles pour la discipline soient devenues si exceptionnelles.

Le troisième temps était consacré à la présentation du livre : Nouveaux logements à Zürich, la renaissance des coopératives d’habitat par son auteur Dominique Boudet. Si la conférence a eu le mérite de faire vivre certains projets et de donner un aperçu sur la globalité du mécanisme, il est urgent de consulter le livre tant il est passionnant, riche et documenté sur la construction politique et les stratégies territoriales de la ville de Zürich. Cette dernière, hautement impliquée dans la mise en place de structures d’habitat coopératif depuis le début du xxe siècle, est exemplaire dans son pragmatisme, son exigence et la pertinence des réponses architecturales. Le livre est extrêmement bien structuré, il repose sur un préalable historique, social et urbain, pour développer ensuite chaque projet selon les typologies d’espaces urbains et les solutions spatiales qu’ils offrent.

Le dernier temps était consacré à la présentation des travaux de l’agence Leibar-Seigneurin.

Xavier Leibar place l’exercice avec succès sur le plan du combat et de la maîtrise comme préalable à la création et condition sine qua none de l’épanouissement en tant qu’architecte praticien. Après avoir planté l’univers conceptuel, esthétique et philosophique qui structure la démarche de l’agence et parlé avec justesse de l’âpreté et du plaisir liés à l’exigence que comporte sa pratique, l’architecte développe les enjeux spécifiques de la production de logement. Ce dernier est envisagé comme un exercice d’équilibre perpétuel qui passe par une connaissance parfaite de l’économie liée à la maîtrise de la dimension constructive du projet, pour atteindre le projet souhaité. Pied à pied, à force de détermination, d’exigence et de compréhension de la mécanique politique, l’agence a fini par se dégager de nombreux espaces de liberté. Prix du mètre carré, sites exceptionnels, matérialité des bâtiments ou générosité des typologies, chacune des opérations emblématiques atteste de l’acquisition d’une grande liberté de création à l’échelle du logement.

La dimension miraculeuse de l’imprécation moins cher, plus vite et mieux de notre président suggère que l’économie du logement possède encore des largesses qui doivent progressivement disparaître. On est ici tenté de proposer une version 2.0 de l’adage de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, appliqué à la construction du logement qui en substance, deviendrait avec trois fois rien, on ne fait pas grand-chose.

« L’architecture est un phénomène synthétique qui englobe presque toutes les facettes de l’activité humaine. Dans ce vaste champ, un objet peut être fonctionnel d’un point de vue, mais pas d’un autre. Au cours de la dernière décennie, l’architecture moderne a surtout été fonctionnelle sur le plan technique, priorité étant donné à l’aspect économique de la construction. Cette priorité est naturellement souhaitable, car assurer un toit décent à l’homme est un processus devenu très coûteux par rapport à la satisfaction de certains autres de ses besoins. Si l’on veut que l’architecture ait une plus grande valeur humaine, il faut en premier lieu organiser son côté économique. Mais dans la mesure où elle touche à tous les domaines de la vie, elle doit, pour être réellement fonctionnelle, l’être avant tout sur le plan humain. »

Aalvar Alto, Humaniser l’architecture, dans The Technology Review (Cambridge), novembre 1940.

NOUVEAUX LOGEMENTS À ZURICH
La renaissance des coopératives d’habitat

Publié sous la direction de Dominique Boudet.
Avec contributions par Dominique Boudet, Sylvia Claus, Irina Davidovici, Daniel Kurz, Caspar Schärer et Axel Simon, et interviews avec Peter Ess et Patrick Gmür
2017

256 pages, 394 illustrations en couleur et 281 en noir et blanc
24 x 30 cm

Éditeur : Park Books

n°40 - automne 2018 - septembre
(PDF - 2.6 Mo)