entretien / portrait

Entretien avec Alain Juppé.

Propos recueillis par Boubacar Seck et Julien Vincent, architectes

Quelle est votre vision de l’agglomération, votre conception urbaine, en tant que Maire de Bordeaux et Vice-Président de la Communauté Urbaine ?

Pour continuer la véritable métamorphose de Bordeaux ces quinze dernières années, je poursuis un double objectif :
Le premier est de continuer à faire grandir Bordeaux, dans la compétition où sont engagées les grandes villes européennes.
Nous évoquons une métropole millionnaire. C’est l’ordre de grandeur qui me paraît réaliste et raisonnable. Ce renforcement devra se faire en rupture avec le fléau de l’étalement urbain, donc sur les pôles de centralité, en commençant par la ville-centre.

La seconde ligne directrice est de conserver la qualité de vie de Bordeaux, devenue la ville la plus attractive après Paris !
C’est une alchimie complexe : cela demande des quartiers équilibrés entre logements et activités, des espaces publics de qualité et surtout des lieux de rencontre à vocations culturelles. C’est très bien de construire 35 % de locatif social mais la vraie mixité se crée dans les espaces publics et les lieux de proximité.

Voilà ma vision de l’agglomération à l’échéance 2020-2030. Nous l’avons appelée, avec un peu d’audace, le passage du croissant de lune à la pleine lune, car le plan du cœur de Bordeaux n’est plus seulement le triangle d’autrefois.

Quels sont vos grands projets et desseins pour les années à venir et principalement ceux qui concernent les architectes ?

Si j’étais architecte, je me réjouirais de vivre à Bordeaux.
Grâce à l’attractivité de la ville et à tous les projets qui ont permis sa métamorphose, l’architecture a été largement sollicitée et mise à l’honneur.

Bordeaux aime l’architecture et les architectes. Nous nous sommes beaucoup battus pour que l’architecture de Bordeaux entre au patrimoine mondial.

Ensuite, nous avons avec Agora un événement d’architecture à l’échelle européenne, attirant les plus grands architectes locaux et internationaux en même temps que le grand public. Je pense aussi à arc en rêve (1), que nous continuons d’accompagner. Les Bordelais aiment l’architecture de leur ville et sont passionnés par les questions d’architecture.

Les projets de demain vont continuer à conforter cette place de l’architecture. Les plus emblématiques comme le stade, la Cité des civilisations du vin ou la cité municipale ne sont pas menés par des Bordelais, mais je pense qu’ils participent au rayonnement général de l’architecture de la ville. Et puis les nouveaux quartiers, ceux que j’ai appelé l’arc de développement durable, vont enrichir le patrimoine culturel de Bordeaux et de son agglomération : Ginko, les Bassins à Flot, Brazza, Bastide Niel, Bordeaux Euratlantique,
la Meca portée par le Conseil Régional, la quantité de projets futurs est aussi importante que celle passée.

Vous dites que Bordeaux aime ses architectes et vous avez évoqué le Grand Stade et d’autres grands projets. Ils sont souvent confiés à des architectes venant d’ailleurs. Nous avons parfois le sentiment d’une volonté d’appeler des stars et ce n’est pas toujours bien perçu par nos confrères aquitains.

Écoutez, moi je n’ai pas très envie de poursuivre ce débat.
Vous avez un président qui a son franc-parler, moi aussi je l’ai [référence à l’intervention d’Eric Wirth aux Bassins à Flot]. Je trouve qu’une profession qui est en permanence en train de se plaindre et de se positionner de façon défensive, ce n’est pas une bonne chose. Ces reproches sont tout à fait infondés, j’ai eu l’occasion de l’expliquer à maintes reprises : Pour ce qui concerne les projets de la ville entre 2008 et 2012, 71 % du total de marchés de maîtrise d’œuvre ont été attribués à des architectes de Gironde. Les choses sont donc largement partagées. Par ailleurs, il y a des jurys de concours : que le meilleur gagne. Il ne faut pas se focaliser seulement sur les trois plus grands projets, l’essentiel des investissements de la ville est ailleurs. Dans le budget 2013, sur 90 millions d’investissement, 70 millions vont aux écoles, aux gymnases, aux crèches, aux équipements de proximité. Du point de vue de la ville, ce n’est pas aussi déséquilibré qu’on pourrait le penser.
Soyez dynamiques, soyez offensifs, soyez les meilleurs, développez vos relations avec la promotion immobilière ! Je ne crois pas qu’on puisse généraliser, les projets sont au cas par cas. Nous jugeons chaque opération en fonction de critères bien précis. Par exemple, lors du choix des architectes pour la réhabilitation de la salle des fêtes du Grand Parc, il y avait des habitants dans le jury, invités pour vérifier l’adéquation entre le projet et ce qu’ils en attendaient en terme de fonctionnalité. C’est très important de répondre aux attentes des usagers.

Pour le reste, je ne veux pas d’une ville qui se reproduise sur elle-même. Nous sommes en train de travailler sur la réécriture du plan de sauvegarde du secteur sauvegardé mais ça n’exclut pas la créativité, l’inventivité, la modernité, nous en avons donné quelques exemples sur les quais des Chartrons ou dans la ZAC (2) Ginko. Bordeaux a acquis la réputation d’une belle ville, dynamique en projets, laissant une large place à la créativité et à l’imagination.
Je suis convaincu que ce sera de plus en plus profitable aux architectes bordelais et girondins.

(1) arc en rêve centre d’architecture, www.arcenreve.com
(2) ZAC : Zone d’Aménagement Concertée

n°22 déc. 2013