juridique

AMOURABBI, ou les avatars de la Maison Individuelle

Bernard Vayssière, architecte expert assurances

Si la maison du maître s’effondre, on détruira la maison de l’architecte.

Si la maison s’effondre et tue l’enfant du maître, on tuera l’enfant de l’architecte.

Si la maison s’effondre et tue le maître, on tuera l’architecte.

Voici ce que des archéologues ont découvert écrit en cunéiforme sur une pierre en fouillant le site de Babylone. Une histoire que je vous conte ci-dessous pourra se rapprocher de celle-ci.

Nous sommes dans un village situé au pied des Pyrénées. Un de nos confrères, travaillant en « confiance » avec les artisans locaux vient de terminer une maison avec piscine et pool house attenant. En cette fin d’après-midi et pour les remercier de la livraison dans les temps de sa maison, le maître de l’ouvrage a convié l’ensemble des constructeurs autour d’un verre.

Dans la nuit alors que le maître d’ouvrage n’occupe pas les lieux, des inconnus s’introduisent dans la propriété, apposent 3 lettres sur les murs, les arrosent d’essence et allument…

La maison est entièrement brûlée et le pool house l’est à moitié lorsque les secours arrivent.
L’assureur Incendie auprès duquel le maître d’ouvrage avait souscrit cette garantie, la lui refuse au prétexte qu’il n’y a pas de procès-verbal de réception.Ce positionnement de l’assureur appelle de notre part les points de vigilance suivants :

Réception :

L’article 1792 – 6 du CC précise :

« La réception est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Etc, etc ».

Au moment des faits cette réception pouvait être prononcée contradictoirement : soit amiable soit judiciaire.

La réception a deux principaux effets : l’un extinctif (purge des vices et défauts de conformité apparents), l’autre fixe le point de départ des délais de garantie – GPA, biennal et décennal.

Cet acte transfère aussi la garde de l’immeuble (article 1384 du CC de l’entreprise vers le Maître de l’Ouvrage).

Réception tacite :

La loi a exclu cette possibilité. Toutefois cette réception était couramment admise si trois conditions étaient simultanément réunies :

- prise de possession de l’ouvrage par le maître d’ouvrage,
- paiement intégral des constructeurs (hors retenue de garantie),
- aucune réclamation formulée dans le mois suivant.
Lors de la réunion d’expertise nous avons eu confirmation que ces trois conditions étaient réunies.

Contractuel/Décennal :

La réception fixe aussi la date séparant les régimes de responsabilités des constructeurs :
- avant, nous sommes sous le régime de responsabilité contractuelle avec obligation au demandeur d’apporter la preuve de la faute,
- après, la présomption de responsabilité s’applique pendant une durée de dix ans au moins.

Assurances :

Si la loi du 4 janvier 1978 fait obligation aux constructeurs – en tant que locateur d’ouvrage – de souscrire une police d’assurance couvrant les risques de nature décennale, il ne leur est point fait obligation de souscrire une police d’assurance de responsabilité civile professionnelle sachant que celle-ci ne s’appliquera qu’aux désordres causés aux tiers et non à leurs propres ouvrages.

Conclusions :

Dans notre histoire où les dommages sont le fait de causes non identifiées, il faudra retenir qu’en l’absence d’un document signé par le Maître d’Ouvrage et les constructeurs, prouvant que la réception est bien prononcée :
- les garanties décennales ne s’appliquent pas,
- les constructeurs sont toujours responsables de leurs propres ouvrages pour lesquels ils ne sont pas garantis.

En conséquences les artisans devaient refaire cette construction à leurs frais.

Vous vous doutez bien qu’ils se sont retournés vers notre confrère architecte qui comme nous l’avons indiqué ci-dessus « œuvrait en confiance » avec les artisans. C’est-à-dire qu’à partir d’un simple document dessiné, il ne produisait aucun CCTP, aucun marché signé, aucun compte rendu de chantier et aucun procès-verbal de réception. Pour autant la qualité de la construction était parfaite.

Il y a là des insuffisances que les assureurs des divers artisans n’ont pas manqué de mettre en évidence pour aller rechercher la responsabilité de notre confrère.

Votre attention :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »
Je vous laisse méditer et vous proposerai une prochaine histoire…

« Oncle Beniat »

n°13 - janvier 2012