juridique

De la nécessité d’un contrat signé…

Laurence Servat , directrice et juriste du CROA Aquitaine

Dans une société qui se judiciarise de plus en plus, avec une réglementation qui protège encore et toujours le consommateur, réputé « faible » par rapport au professionnel, il n’est plus possible de travailler sans contrat.

La passation d’un contrat écrit et signé est un devoir !

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→ un devoir déontologique bien sûr  :

rappelons que la déontologie des architectes (1) prévoit que « tout engagement professionnel de l’architecte doit faire l’objet d’une convention écrite préalable, définissant la nature et l’étendue de ses missions ou de ses interventions ainsi que les modalités de sa rémunération. »

→ un devoir envers la maîtrise d’ouvrage ensuite :

il est totalement légitime que les clients sachent à quoi ils s’engagent lorsqu’ils traitent avec un architecte. Quelles prestations peuvent-ils attendre ? Pour quels honoraires ? Quelles sont les garanties apportées par l’architecte ? Les maîtres d’ouvrage, notamment les particuliers, sont généralement demandeurs et rassurés par la présentation d’un contrat d’architecte.

→ un devoir personnel de l’architecte enfin  :

passer un contrat confère une sécurité juridique à la prestation. Avec un contrat signé, l’architecte se donne les moyens d’être justement rémunéré. Conclure un (bon) contrat n’est pas toujours suffisant pour percevoir le paiement des prestations sans difficultés ; mais l’absence de contrat crée assurément de véritables embûches au recouvrement des honoraires et est source de conflits ou de malentendus avec la maîtrise d’ouvrage. Il est prouvé que travailler sans contrat met l’agence d’architecture en péril très facilement et très rapidement : Les architectes placés en redressement ou liquidation judiciaire ces dernières années sont TOUS des confrères qui ont ou avaient pour habitude de travailler sans contrat. Les temps où la parole donnée avait une valeur contractuelle sont révolus depuis longtemps !

En commande publique, il est interdit de produire une prestation sans contrat. En effet, aucun commencement d’exécution ne doit intervenir avant la notification du marché de maîtrise d’oeuvre (2). A défaut, l’architecte s’expose à ne percevoir aucune rémunération. Le Conseil de l’Ordre n’ignore pas que certaines collectivités locales – souvent de bonne foi – sollicitent une prestation d’avant-projet pour obtenir des subventions, avant de réaliser une opération. On peut comprendre cette contrainte. Néanmoins, il est toujours obligatoire, en bâtiment, de confier la mission de base à un architecte ou une équipe de maîtrise d’œuvre par la voie d’un contrat unique (3).
En l’absence de contrat, aucune rémunération n’est due (jurisprudence constante et abondante dans ce sens). La collectivité locale doit confier une mission de base par contrat de maîtrise d’œuvre dûment notifié ; elle peut ensuite résilier le contrat à défaut d’obtention des financements espérés.

En marchés privés, le contrat est également obligatoire. Certes, en droit civil, le contrat se forme par le seul échange des consentements entre les parties ; c’est pourquoi les tribunaux admettent régulièrement un droit à rémunération même en l’absence de contrat signé. Néanmoins, des problèmes de preuve (quelle mission ? quel montant d’honoraires ?) se poseront. La jurisprudence valide des « commencements de preuve par écrit » tels que le dépôt de la demande de permis de construire signée du maître d’ouvrage, l’utilisation par le client des prestations fournies, des échanges de courriers sur le projet, etc. Mais pour éviter des années de procédures et d’importants frais de justice, rien ne vaut un bon contrat : utilisez les modèles élaborés par l’Ordre des architectes, téléchargeables sur www.architectes.org.

Ceci vaut tant pour les particuliers que pour la promotion immobilière. Certains promoteurs proposent aux architectes d’établir des études quasi-gratuitement (paiement très tardif à l’obtention du permis de construire, voire au démarrage des travaux) ou même gratuitement tout court (clause annulant toute rémunération si l’opération ne se réalise pas) !

Ces clauses sont inacceptables économiquement parlant, mais également du point de vue juridique. Notamment lorsque le paiement des honoraires est conditionné au dépôt du permis de construire ou au démarrage des travaux. Il s’agit de conditions potestatives, c’est-à-dire qui ne peuvent se réaliser que sur le bon vouloir d’une des parties, en l’occurrence le promoteur. Or, toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige (4). L’architecte est un prestataire de services qui fournit une prestation, laquelle doit être rémunérée. Il ne doit pas travailler « à risque » comme le promoteur : ce n’est pas son métier.

En Aquitaine, le Conseil de l’Ordre est saisi chaque année d’environ 130 litiges, dont une centaine porte sur des difficultés de recouvrement d’honoraires. Tous les architectes sont invités à contracter par écrit avec leurs clients ; à défaut, le Conseil nouvellement élu a décidé qu’il ne pourrait pas légitimement défendre les intérêts d’un architecte pour le règlement amiable du conflit.

Le conseil de l’ordre se tient néanmoins à la disposition des confrères pour analyser les cas particuliers.

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1 - article 11 du décret du 20 mars 1980 portant code des devoirs professionnels des architectes.

2 - article 81 du code des marchés publics

3 - article 7 alinéa 4 de la loi MOP du 12 juillet 1985 et article 15 du décret MOP 93-1268 du 29 novembre 1993

4 - articles 1170 et 1174 du code civil

n°10 spécial dordogne - mars 2011