juridique

Du nouveau dans la lutte contre les prix bas

Laurence Servat, directrice et juriste de l’Ordre d’Aquitaine.

Tous les acteurs de la commande publique, maîtrise d’ouvrage comme maîtrise d’œuvre, connaissent le « Guide à l’intention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’œuvre », dit guide de la MIQCP (1). Etabli au début des années 1990, lors de l’entrée en vigueur de la loi MOP, sert-il encore aujourd’hui de référence dans l’élaboration des offres, puis pour leur examen par les collectivités publiques ?

Si ce guide n’est pas un barème, et n’a donc aucun caractère obligatoire, il n’en reste pas moins une référence, reconnue depuis plus de vingt ans. Le Tribunal administratif de Toulouse vient de le rappeler (2). Le juge a annulé une procédure organisée pour la réalisation d’une crèche, au motif que l’offre de l’équipe de maîtrise d’œuvre retenue était anormalement basse. Entre autres arguments, le magistrat a relevé que cette offre (4,8% pour 
la mission de base et l’OPC) était inférieure de moitié au montant préconisé dans le guide (9,1% avec un coefficient de complexité de 0,7). Au-delà du cas d’espèce, cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle replace le guide de la MIQCP comme une référence en matière d’honoraires de maîtrise d’œuvre.

Attention toutefois : il ne suffit pas qu’une offre s’éloigne, même largement, de ce guide pour qu’elle soit qualifiée d’anormalement 
basse. Plusieurs paramètres sont pris en compte : un écart significatif avec les offres concurrentes par exemple, ou une importante différence avec l’estimation de la maîtrise d’ouvrage.

Dans une décision du 29 mai 2013 (3), le Conseil d’Etat a rappelé que « le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public ». Il a également précisé que le niveau d’une offre devait être apprécié en lui-même : il ne suffit pas de constater un écart avec les offres concurrentes ; le maître d’ouvrage doit rechercher si l’offre est en elle-même sous-évaluée ou non.

Rappelons que le maître d’ouvrage public doit éliminer les offres anormalement basses en suivant la procédure prévue à l’article 55 
du code des marchés publics (l’auteur doit être invité à justifier son prix). S’il ne la met pas en œuvre, non seulement il prend un risque pour la sécurité juridique du marché puisque des candidats évincés pourront former un recours, mais surtout il s’expose à de nombreux désagréments : l’auteur de l’offre anormalement basse n’aura pas les moyens de remplir sa mission correctement.

• en conséquence, il pourra demander, en cours d’exécution du marché, une rémunération complémentaire par avenant. Bien souvent, le maître d’ouvrage sera contraint d’accepter sous peine d’interrompre le chantier ou les études. De surcroît, cet avenant sera susceptible de bouleverser l’économie du marché, ce qui pourra entrainer sa résiliation et la nécessité, pour la collectivité publique, d’engager une nouvelle procédure de consultation de maîtrise d’œuvre…

• sans moyen à la hauteur du programme, les prestations produites pourront être de mauvaise qualité (4). Certes en bâtiment, la maîtrise d’œuvre a une mission de base, dûment réglementée. Mais qu’en sera t-il du soin apporté aux prestations, des délais, de la qualité du rendu ?...

• le titulaire du marché pourra être défaillant en cours de mission : la mise en liquidation judiciaire de l’architecte entrainera forcément, pour le maître d’ouvrage, une perte de temps et un surcoût.

Rappelons que l’architecte a des devoirs déontologiques et que, parmi ces obligations, figure l’interdiction de commettre des actes de concurrence déloyale (article 18 du code des devoirs professionnels). Est notamment prohibée « toute tentative d’appropriation ou de détournement de clientèle par la pratique de sous-évaluation trompeuse des opérations projetées 
et des prestations à fournir ».
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(1) Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques (guide et calculateur d’honoraires 
sur www.archi.fr/MIQCP)
(2) Ordonnance du juge des référés du 6 décembre 2013, n°1304918, M. Burzio c/ Communauté de communes du canton de Montcuq
(3) Etat c/ société Artéis
(4) La MAF constate une sinistralité lié à des honaires
particulièrement bas. -
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n°25 automne 2014 (09)