entretien / portrait

Entretien avec Vincent Feltesse.

Propos recueillis par Boubacar Seck et Julien Vincent, architectes

Vous êtes Président de la Communauté Urbaine de Bordeaux et Député de la 2e Circonscription, quelle est votre conception de ce Territoire ? Quels mots y accolez-vous au sens conceptuel ?

C’est la question des items. Le terme de « Territoire » m’horripile. On sait bien que dans la terminologie politique, mais aussi architecturale ou urbanistique, car l’architecture et l’urbanisme sont des choses très politiques, il peut y avoir des effets de mode sémantiques. Le terme de territoire est au détour de tous les propos sans qu’il soit bien défini. Une fois que j’ai fait part de cet agacement sympathique, il y a deux choses importantes pour moi.

D’abord, il y a un retour en force du territoire, y compris au niveau national comme la manifestation des Bretons ou le vote périurbain avec la montée du Front National. On voit qu’il y a un retour de la géographie très important, alors que nous étions ces dernières années dans le monde des chiffres et des algorithmes. Derrière la notion du territoire que je critique un peu, il y a la relation de la personne à son environnement, qui est quelque chose d’assez intime et d’assez incarné. Là où on vit, le nombre de mètres carrés dont on dispose, ce qu’on voit de chez soi, le nombre de kilomètres que l’on parcourt, le temps qu’on passe dans les transports. Et finalement, derrière le territoire qui m’agace un peu, il y a l’humain. Cette espèce de revanche de la géographie et de l’Homme sur la statistique est assez intéressante et positive. Donc l’articulation entre la personne et ce qu’il y a autour d’elle.

Ensuite, ce que les gens voient autour d’eux, ce n’est pas ce qu’ils voyaient il y a cinq, dix ou quinze ans. Avec le phénomène de la mobilité, d’internet, notre environnement est un peu plus ouvert et fluctué. C’est pourquoi je pousse la question de la Métropole depuis quelques années, non pas du fait de la réforme administrative, mais parce qu’il y a une réalité de vie qui fait là où vous dormez, ce n’est pas forcément là où vous travaillez, ce n’est pas forcément là où vous bougez pour vos loisirs, pour vos pratiques culturelles ou professionnelles. Dans cette notion de Métropole, il n’y a pas que l’action de l’échelle territoriale, il y a aussi ce que j’appelle l’EHDEN (1) métropolitain : la question de l’économie, de l’habitat, des déplacements, du développement durable et de la culture. Donc mon point d’entrée, quelles que soient mes responsabilités, c’est le vécu au quotidien de la personne dans le territoire et qu’elle y vive mieux. Pour Bastide-Niel quelqu’un citait cette phrase pleine de sens : « Je crois qu’on obtient plus de résultats par la modestie du bricolage que par l’arrogance du génie ».

Dans cette Métropole, quelle est votre ambition ? Quels sont vos grands projets pour la changer et pour quel horizon ? 10 ans, 20 ans ?

Déjà, le changement a commencé depuis quelques années et il va en s’accélérant. On a toutes et tous conscience que le vécu de 2013
à Bordeaux et dans sa périphérie n’est pas celui de 2003, encore moins celui de 1993. Quand on regarde le plan de charge des années qui viennent, si je peux utiliser cette expression, il y a l’arrivée de la Ligne
à Grande Vitesse, les opérations d’aménagement, le déploiement de la troisième phase du tramway, les BatCub, la question des espaces naturels, la mutation du campus. On est dans un territoire en mutation forte avec plutôt, dans un pays qui va mal, un certain optimisme sur le futur. Tous les baromètres montrent que les gens ont conscience d’être dans un territoire dynamique qui va plutôt bien. Ces projets vont nous amener vers 2020 à 2025 et il n’y aura pas une année sans qu’il ne se passe quelque chose : le pont Jean-Jacques Bosc, le tramway, la grande salle de spectacle, la rocade etc.

Il y a le projet stratégique de la Métropole autour de la croissance démographique. Même si c’est un sujet qui peut prêter à discussion, c’est de notre responsabilité politique, sociale, économique et environnementale de dire que les nouveaux habitants en Gironde doivent venir plutôt à l’intérieur de la Métropole que dans le périurbain. C’est plus « profitable », j’utilise ce terme, et pour les habitants et pour la collectivité locale. On a cette croissance démographique à articuler avec ces différentes dimensions, je reviens sur l’EHDEN métropolitain, où on croît tout en préservant 50 % des espaces naturels. Enfin il y a un enjeu social majeur, celui de faire en sorte que tout le monde puisse se loger aujourd’hui dans la Métropole. On se rend compte qu’on est dans une métropole finalement assez discriminante. Les jeunes couples continuent à la fuir. Il y a un combat social majeur à mener : comment on passe à un million d’habitants tout en étant capable d’accueillir tout le monde en préservant une qualité de vie qui nous est chère ? Tout le monde, ce sont bien sûr les habitants, un certain type d’activités économiques, l’artisanat. C’est cela l’enjeu majeur.

Vous l’avez évoqué tout à l’heure, dans un pays qui va mal,
nous sommes une région qui se porte plutôt bien. Justement,
il y a beaucoup de projets et nos confrères et consœurs nous font l’écho de leur agacement, de leur plainte ou complainte,
il y a beaucoup de stars venues d’ailleurs et …

… pas assez de « Bordelais ». Il y a deux choses. Je pense que cette complainte est bien réelle mais les raisons de cette complainte ne correspondent pas à la réalité. Je vais vous parler des grandes opérations d’aménagement. La première opération qui est sortie
est Ginko. À ma connaissance, elle n’a pas été faite par des architectes extra-bordelais. Il faut donc relativiser les choses même si je ne mésestime pas les difficultés des architectes en France et des Aquitains en particulier. Je ne mésestime pas non plus les effets nocifs de la « starisation »-architecturale. Grosso modo, aujourd’hui, à l’échelle
des métropoles, vous devez avoir dix ou quinze équipes européennes ou internationales qui font à peu près les mêmes choses d’ailleurs
et quel que soit le territoire. C’est à Bordeaux mais cela pourrait être à Nantes ou à Toulouse. Dans l’opération que nous avons portée à la Communauté Urbaine, les « 50 000 logements », il y a eu une première étape, on a assumé l’idée de prendre des équipes extérieures parce qu’il fallait faire imploser un certain nombre de choses. En revanche dans la seconde étape, celle des îlots témoins, nous avons été très vigilants, au contraire, à beaucoup travailler avec des équipes locales. Je suis très sensible à cette articulation.

(1) EHDEN : Emploi, Déplacement, Habitat, Environnement, Nature.

n°22 déc. 2013