développement durable

Création en espace protégé.

Philippe Rochas , architecte des bâtiments de france, chef du stap de la dordogne

La création en Espace Protégé suscite toujours beaucoup d’interrogations de la part des candidats à la construction. Persuadés à tort, qu’étant soumis à avis de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF), ils seront condamnés à présenter des projets néo-régionalistes coûteux, à toitures à forte pente, petites tuiles plates et façades en pierres locales.

Tout aussi persuadés qu’ils ne pourront pas réaliser de création digne de ce nom.Et pourtant, les espaces dits Protégés (aux abords des Monuments Historiques, en site inscrit ou classé, en ZPPAUP (1) , en secteur sauvegardé…) ont l’ambition légitime de s’afficher comme des espaces d’excellence architecturale.

En Dordogne, la créativité s’exprime ainsi clairement et de manière continue au travers des équipements ayant trait à la préhistoire, construits en espace protégé voir sur des Monuments Historiques.

Que le maître d’ouvrage du projet soit public ou privé, que l’architecte soit ACMH (architecte en chef des monuments historiques) ou libéral, le contrôle architectural s’est exercé sans discontinuer sur ces projets, depuis 1946, date symbolique de création de « l’hypogée » donnant accès symboliquement au sanctuaire de la grotte de Lascaux, jusqu’en 2010, année de naissance du Centre d’accueil des Eyzies.

Tous ces équipements, modestes ou structurants ont été étudiés par 5 ABF successifs qui ont cherché, au-delà de leurs différentes personnalités, à favoriser l’émergence d’opérations de référence dans des contextes patrimoniaux ou naturels particulièrement sensibles.

Tout autre est la problématique de la production courante de l’habitat individuel pour laquelle nous sommes, encore faut-il l’admettre, souvent démunis. La permanence des formes et le principe de leur reconduction peuvent s’avérer culturellement défendable ; c’est en effet reconnaître la force de la présence symbolique du patrimoine bâti hérité, comme socle potentiel d’une réflexion prospective.

Cette vision constitue en effet depuis près de 40 ans le mode d’approche privilégié des ABF, par une association étroite du conseil et du contrôle, notamment dès lors qu’il n’y a pas de véritable concepteur comme interlocuteur.

On ne peut cependant objectivement que constater l’échec des modèles et l’épuisement de la reconduction des typologies et des formes issues de l’architecture vernaculaire.

La rupture avec le contexte est depuis longtemps consommée dans le système de production de l’architecture ordinaire. La recherche d’une certaine identité du territoire est en effet de moins en moins crédible dès lors que se distend et disparaît le lien tissé par les sociétés traditionnelles.

Réduire l’architecture vernaculaire à l’expression de motifs, de signes issus de l’analyse typologique, apparaît alors être une démarche excessivement réductrice contribuant à entretenir une vision caricaturale des formes héritées. Cette réduction de la construction ancienne au motif est une impasse, dans la mesure où la construction neuve élaborée d’un seul jet tentera de mimer la complexité de la stratification du bâti ancien, pour n’en reprendre au mieux que la seule traduction formelle, dès lors dépourvue de signification.

Au-delà d’une pratique nécessairement défensive de la correction de produits issus de catalogues de modèles éprouvés, il importe en conséquence d’imaginer ensemble d’autres alternatives.Entre l’illusion d’une règle qui serait garante de la qualité des projets de construction (les fameux articles 11 des PLU(2) ) et l’attitude du « laissez faire » en vertu du libre choix du candidat à la construction, une troisième voie doit pouvoir puiser son inspiration créative dans l’analyse du « déjà là », dans l’examen attentif des typologies et des implantations héritées, pour mieux s’en écarter ensuite et faire que ce territoire d’exception soit un laboratoire d’expérimentation.

Non pour laisser cours à une créativité débridée voire stérile mais pour retrouver ce génie du lieu qui manque souvent cruellement aux nouvelles constructions et pour que les nouvelles productions ne se résument pas non plus à un condensé dérisoire de toutes les innovations technologiques du moment sous couvert de développement durable.Réintroduire l’architecte, au cœur de la production ordinaire semble constituer le vrai défi de ce territoire rural.

Les ABF, désormais au sein des DRAC, doivent s’attacher, à leur place, à promouvoir cette recherche de qualité.

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1- zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysagé

2- plan local d’urbanisme

n°10 spécial dordogne - mars 2011